Après six mois, quatre leçons sur les élections en République Démocratique du Congo
In partnership with SAGE Publications, one article of key significance from every new issue of International Journal is chosen to be featured in the IJ Spotlight Series. The unabridged version of this article was originally published in Vol. 73 No. 1.
Les Congolais se sont prononcés, le 30 décembre 2018, lors d’élections présidentielles et législatives nationales et provinciales. Surprenante à première vue, la victoire de l’opposant Félix Tshisekedi doit être relativisée. Elle doit être comprise à la lumière d’un accord passé entre le vainqueur et le président sortant, Joseph Kabila, qui permet à ce dernier de conserver une très grande partie de son pouvoir sur les institutions du pays. Six mois plus tard, plusieurs leçons peuvent être tirées de ce processus électoral. L’une d’entre elles est que loin d’être un cas isolé, ces élections et la manipulation dont elles ont fait l’objet s’inscrivent dans un mouvement plus large qui n’est pas exclusif au continent africain : la défiance à l’égard de la démocratie libérale.
Lors de ces élections générales, trois candidats principaux se sont affrontés : Emmanuel Ramazani Shadary, du Front Commun pour le Congo (FCC), la coalition du président Joseph Kabila, inéligible à ces élections ; Martin Fayulu, de la coalition formée par l’opposition, Lamuka ; et Félix Tshisekedi, fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, avec la plateforme Cap pour le Changement (Cach).
Selon les résultats officiels, Tshisekedi a remporté la présidentielle avec 38 % des voix contre 34 % pour Fayulu et 23 % pour Shadary. Cette victoire du fils de l’opposant historique est aussi, paradoxalement, celle du FCC de Kabila, qui sort grand gagnant des autres scrutins (législatifs et provinciaux) et prend ainsi le contrôle de l’Assemblée nationale, du Sénat, des assemblées provinciales ainsi que des gouvernorats provinciaux alors que le Cach arrive bon dernier.
Erreur sur le vainqueur
Ces résultats, qui semblent illogiques tant ils impliqueraient que les électeurs ont voté de façon radicalement différente entre deux scrutins tenus le même jour, sont également vite contredits par les 40 000 observateurs électoraux de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et par une fuite de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). Selon ces deux sources, Martin Fayulu serait en fait le gagnant de l’élection avec environ 60% des voix. Ce ne serait donc pas le « bon » opposant qui aurait été élu.
S’il s’agit de la première alternance présidentielle pacifique du pays, la victoire de Tshisekedi apparaît plutôt être issu d’un arrangement entre celui-ci et son prédécesseur, Joseph Kabila. Confirmé à demi-mot par Tshisekedi, cet accord pour une transition pacifique et une gestion commune du pays à travers une coalition gouvernementale permet à Tshisekedi d’accéder à la présidence tout en garantissant à Kabila un rôle prépondérant dans la gestion de l’État. Comment? En contrôlant institutions étatiques et, donc, en se protégeant de possibles enquêtes. Ainsi, si Kabila n’est plus à la tête du pays, il en détient encore largement le pouvoir.
Quatre leçons
Quels sont les enseignements de ces élections? D’abord, la reconfiguration politique imposée par l’accord entre Tshisekedi et Kabila montre la résilience de ce dernier pour rester au pouvoir tout en offrant la façade d’une alternance. Félix Tshisekedi n’a qu’une marge de manœuvre politique très limitée en raison du déséquilibre des forces dans les institutions du pays, acquises à son prédécesseur.
Ensuite, le faible espoir qu’avait la communauté internationale pour un bon déroulement des scrutins et sa crainte d’une éclosion de violences post-électorales ont largement contribué à lui faire accepter, après quelques hésitations, les résultats. Si ce n’est pas une alternance démocratique, c’est une alternance tout de même.
L’absence de mobilisation massive en faveur de Fayulu en dépit d’un taux de participation élevé aux élections confirme aussi une forme de satisfaction prudente de la part de la population qui, sans que le résultat ne corresponde à celui des urnes, se contente du départ de Kabila à la présidence et de l’absence de violences postélectorales.
Enfin, même si son élection est contestée, l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi a permis une détente politique nationale et internationale. De plus, sa volonté de changement et sa quête de légitimité, qui lui permettraient de peser plus lourd dans son rapport de force avec Kabila, le poussent à adopter plusieurs mesures symboliques comme la libération de prisonniers politiques ou l’autorisation de manifestations de l’opposition. La compétition avec son prédécesseur pourrait ainsi produire des dividendes et jouer en faveur d’une amélioration de la situation en RDC.
Un récent sondage Berci/GEC montre que si près de la moitié de la population congolaise considère que les élections ont été truquées, ils en acceptent le résultat et ont une opinion positive de Félix Tshisekedi, à 62%.
Le défi pour le nouveau chef de l’État sera donc bien de concrétiser une alternative au-delà de l’alternance, de naviguer entre dépendance à son prédécesseur et émancipation vis-à-vis de celui-ci, et de saisir les opportunités de changement tout en sachant identifier les limites de ses réformes et ambitions.
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Authors
Sidney Leclercq et Julie Dénommée, chercheurs au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal