La pandémie de coronavirus au Sahel et ses effets secondaires sur les pays de la région

Marquée par une année particulièrement meurtrière, la population de la bande sahélienne doit faire face à un nouveau défi en 2020 : la pandémie de coronavirus. Touché par le fléau du terrorisme islamique et les conflits inter- et intra-communautaires, le Sahel est-il trop fragile pour y faire face? Entrevue avec Adib Benchérif, chercheur postdoctoral au Sahel Research Group, à l’Université de Floride.

Amandine Hamon : Dans son rapport du 24 mars 2020, International Crisis Group redoute que la pandémie freine les interventions humanitaires, limite les opérations de la paix, et retarde la résolution de certains conflits. Dans ce contexte, quels risquent préoccupent les observateurs de la bande sahélienne?

Adib Benchérif. : Avec ses défis sanitaires, économiques et politiques déjà nombreux avant la crise, ce sont les effets secondaires associés à la pandémie qui inquiètent davantage les observateurs que le coronavirus. Le ralentissement des activités humanitaires internationales, régionales et locales va créer de nouveaux enjeux de subsistance pour les réfugiés et déplacés dans la région. Les Burkinabès ont eu ce trait d’esprit, en disant que la Covid-19 était moins dangereuse que le phénomène du « pochvid-20 » qui l’accompagne. Dans les grands centres urbains, on craint une augmentation des mécontentements et des risques de protestation si les États de la région n’arrivent pas à garantir des moyens de subsistance aux populations.

La couverture médiatique focalisée sur la Covid-19, relégue au second plan des évènements-clés: les élections législatives au Mali marquées par l’enlèvement de l’opposant politique Soumaïla Cissé, l’atmosphère de scandale autour des détournements de fonds dans le secteur de la défense au Niger, les conflits intra-communautaires qui prennent de l’ampleur au Burkina avec les nombreuses victimes civils, ou encore les attaques jihadistes et les opérations de contre-terrorisme de grande ampleur au Tchad. Si les activités militaires des pays de la région et des forces internationales sont aussi ralenties, il est aussi possible que cela offre un répit aux groupes djihadistes pour régénérer leurs forces…

A.H. Comment réagit la population?

A.B. : La situation varie dans chaque pays. Au Niger, par exemple, on constate un décalage entre la réaction des populations et les annonces faites par les autorités. Le président s’est adressé à la nation annonçant l’interdiction des rassemblements. Ces mesures ont peut-être pour objectif d’envoyer des signaux en direction de l’Occident, les bailleurs de fonds et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), que de s’inscrire dans une gestion d’une crise sanitaire mineure en l’état au Sahel.

Une mesure particulièrement forte a été de demander la fermeture des lieux de prière, alors que les Nigériens sont très pieux. Des sources m’ont indiqué que des protestations avaient eu lieu dans les rues de Niamey et que les gens continuaient à s’y rendre. On a vu se former des récits contre les élites politiques et une méfiance grandissante par rapport au risque que représenterait vraiment le coronavirus. Des théories complotistes ont émergé sur les réseaux sociaux, accusant notamment les gouvernements de chercher à contrôler les populations. Il y a toutefois une part de vrai puisque les autorités nigériennes ont pu dissiper le climat protestataire qui régnait à Niamey suite aux scandales de corruption dans le secteur de la défense.

A.H. : Où en sont les négociations avec les deux grandes forces djihadistes sévissent dans la région, les groupes affiliés à Al-Qaeda et ceux qui se rattachent à l’État islamique, qui mènent des attaques régulières contre les officiels et les populations civiles?

A.B. : Depuis le début de la rébellion armée touarègue en 2012, où des groupes djihadistes sévissaient déjà, la violence n’a cessé de s’amplifier. Elle est causée par les attaques djihadistes et par des fractures inter- et intra-communautaires de plus en plus prononcées dans des écosystèmes fragiles et complexes. Le gouvernement malien a fait des efforts pour créer un dialogue avec les groupes djihadistes, mandatant des médiateurs pour atteindre les groupes liés à Al-Qaeda, plus particulièrement le JNIM avec le leader touareg Iyad Ag Ghali et le leader peul Amadou Koufa. Mais les djihadistes ont conditionné la reprise du dialogue au départ des forces françaises de la région. Cela n’est pas une condition aisée à remplir, parce que le gouvernement local n’a pas le pouvoir de demander le départ des troupes.

Par ailleurs, du côté des groupes liés à l’État Islamique au Grand Sahara, le dialogue n’est pas à l’ordre du jour. Dans la dernière année, ils ont par exemple attaqué massivement les bases militaires nigériennes, les chefs traditionnels, les représentants de l’État dans ces régions, mais aussi plus généralement les populations civiles.

A.H. : Comment anticiper les risques à venir au Sahel dans le contexte de cette crise sanitaire mondiale?

A.B. : Il est difficile d’établir un scénario unique pour l’ensemble des pays de la région. Il convient d’en décliner plusieurs pour chaque cas en les réactualisant en fonction des évènements. La note prospective du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie du ministère des Affaires étrangères français a provoqué beaucoup de réactions car en soulevant quelques possibles effets de la crise en Afrique, elle est très pessimiste et sous-estime la résilience des sociétés.

Penser les effets de la crise de la Covid-19 sur le Sahel est un exercice analytique qui doit s'armer d'une méthodologie rigoureuse. C’est pour répondre à ce genre de défis que j’ai codirigé avec Frédéric Mérand, directeur scientifique du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), un ouvrage collectif sur l’analyse du risque politique dans lequel nous invitons à penser une pluralité de futurs oscillant entre le probable et le possible.

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Auteurs

Adib Bencherif est chercheur postdoctoral au Sahel Research Group, à l’Université de Floride, après avior obtenu son doctorat en science politique à l'Université d'Ottawa en 2019. Il est chercheur associé au Centre Francopaix de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQÀM et au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM).

Amandine Hamon est étudiante à la maîtrise en études internationales de l’Université de Montréal, et recherchiste pour l’émission Arrêt sur le monde du CÉRIUM.