Des États démunis face aux défis transnationaux contemporains 

La circulation des fausses nouvelles au sujet des mouvements migratoires donne en retour une légitimité accrue à leurs politiques d’immigration très dures qui se marient mal aux fondements mêmes des droits de la personne

Depuis l’incendie à la cathédrale Notre-Dame de Paris, plusieurs caricatures ont circulé sur les réseaux sociaux mettant en parallèle la capacité des plus riches à se mobiliser pour le patrimoine en opposition à leur incapacité à répondre aux grands enjeux planétaires. Cette dichotomie renvoie directement aux limites de la puissance alors que les États les plus forts font aujourd’hui face à un certain nombre de défis auxquels ils peinent à trouver une réponse collective.

Les crises migratoires

Les guerres en Afghanistan, au Mali ou en Syrie ont démontré ces dernières années que le déploiement de matériel militaire et technologique n’empêche pas les grandes puissances de se retrouver dans une impasse face à des adversaires moins nantis. Plus inquiétant, les déplacements de populations qui résultent de ces conflits démontrent l’incapacité de ces pays à répondre aux crises humaines aux conséquences incalculables. Et ici comme ailleurs, la question migratoire déchaîne les passions. Nous le constatons au Québec et au Canada chaque fois que les décisions de l’administration Trump poussent les demandeurs d’asile vers le chemin Roxham. Nous le voyons également à l’échelle internationale où le Pacte mondial pour les migrations suscite une vive opposition. Alors que le texte de ce pacte non contraignant, dit de Marrakech, avait été avalisé par la quasi-totalité des pays membres de l’ONU (à l’exception notable des États-Unis), plusieurs États ont reculé au dernier moment, dont la Hongrie, l’Autriche et Israël. La Québécoise Louise Arbour, qui était à la tête des négociations, s’est dite étonnée par la quantité de fausses informations qui avaient circulé au sujet du pacte. Ce n’est malheureusement pas étonnant dans le contexte actuel. En Amérique et en Europe, la montée des partis politiques et des mouvements populistes ainsi que la tendance au nationalisme exclusif amplifient ce phénomène. La circulation des fausses nouvelles au sujet des mouvements migratoires donne en retour une légitimité accrue à leurs politiques d’immigration très dures qui se marient mal aux fondements mêmes des droits de la personne.

Si les images télévisées de colonnes de migrants sur les routes d’Europe ou d’Amérique du Sud ont fait naître chez certains le sentiment que les États avaient perdu le contrôle de leurs frontières territoriales, elles masquent cependant deux réalités importantes lorsque l’on parle des migrations. La première étant que les plus grands pays d’accueil des réfugiés (loin devant les grandes puissances occidentales) sont la Turquie, le Pakistan, l’Ouganda, le Liban et l’Iran. La deuxième est qu’il y a beaucoup plus de déplacements à l’intérieur des États que vers l’extérieur. Le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) compte actuellement 40 millions de déplacés internes dans le monde et 25 millions de réfugiés. Ces populations déplacées en raison de conflits ou de catastrophes naturelles restent extrêmement vulnérables et les organisations internationales n'y ont pas toujours un accès aisé. Si la Convention sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, adoptée à Kampala en 2009 par l'Union africaine, constitue une avancée majeure, sa mise en œuvre reste problématique, notamment parce que les pays touchés sont le plus souvent politiquement instables ou trop pauvres pour répondre aux besoins des déplacés. Dans son livre, Migrations : Une nouvelle donne, paru en 2016, Catherine Wihtol de Wenden ‪démontre que la circulation des biens et des capitaux n’a pas d’équivalent du côté des personnes. En effet, la mobilité des humains demeure extrêmement bridée puisque les deux tiers de la planète ne peuvent pas circuler librement. Elle souligne que « le réfugié n’est que la conséquence d’une cassure dans le système des États-nations, tout en constituant une part inévitable et involontaire de la société internationale ». Ainsi, si les profils migratoires se diversifient, les politiques migratoires, elles, demeurent inadéquates, au grand bonheur des filières de passeurs.

La lutte contre les changements climatiques

Les mouvements migratoires changent et n’opèrent pas que du sud vers le nord. C’est dans ce contexte que la question climatique devient particulièrement préoccupante et met en lumière les inégalités du système international. Les dernières projections montrent que les migrations provoquées par les changements climatiques (montée des eaux, désertification, raréfaction ou épuisement des ressources, multiplication des événements climatiques extrêmes, disparition ou salinisation des terres, etc.) sont amenées à augmenter de manière sensible au cours des prochaines décennies. À l’image des réflexions qui débutent au Canada et au Québec, les pays les plus riches seront certainement les plus à même de se doter des infrastructures nécessaires pour minimiser les impacts du dérèglement du climat; de leur côté, les pays les plus pauvres ne pourront que partiellement compter sur le mécanisme de pertes et dommages mis en place sur la scène internationale en 2013. Ainsi, qui aidera le Bangladesh à composer avec les millions de déplacés climatiques que prévoient les experts dans les années à venir? Rappelons que 200,000 personnes ont déjà dû quitter leur foyer lors des inondations de 2018… Les côtes se vident au rythme des cyclones, les grandes villes comme Dacca n’arrivent plus à contenir les déplacés, et l’Inde continue à militariser son mur-frontière en alimentant la peur de « l’envahisseur musulman ». Déçus des résultats obtenus à Katowice lors de la COP23, les pays déjà touchés par les changements climatiques attendent donc beaucoup du prochain Sommet Action Climat qui aura lieu à New York en septembre.

Enfin, pour répondre à l’urgence, les États forts devront apprendre à concilier développement économique et lutte contre les changements climatiques. N’en déplaise aux premiers ministres ontarien et albertain, le Canada subira de plein fouet les conséquences de ces bouleversements. En effet, le pays se réchaufferait deux fois plus rapidement que le reste de la planète selon les scientifiques d’Environnement Canada. Cela risque d’accentuer le rythme des événements météorologiques extrêmes comme les tempêtes, les fortes pluies, les canicules et les sécheresses. Si l’adaptation à ces changements est déjà en marche et que des progrès scientifiques insufflent un peu de confiance en l’avenir, les initiatives actuelles ne pourront répondre à l’ampleur du désastre annoncé. Les conséquences des dissonances et distorsions qui marquent la lutte contre les changements climatiques sont de plus en plus apparentes et engendreront des tensions dans et entre États, alimentant entre autres de nouveaux mouvements migratoires. Elles viennent également nourrir les logiques de puissance des États qui, face à ces défis, tendent à se replier sur eux-mêmes, au lieu de penser à la mise en œuvre collective de solutions pourtant déjà identifiées.

Plusieurs chercheurs et spécialistes des migrations et des changements climatiques seront réunis dans le cadre du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale les 2 et 3 mai prochains à Québec. Le panel intitulé Les limites de la puissance réunira entre autres Karel Mayrand de la Fondation Suzuki et Mariam Traore Chazlanoel, experte associée à l’Organisation internationale pour les migrations à New York.

<style><!-- -->#articlecontent a{<!-- --> color: #8a1f03; text-decoration: underline;<!-- -->}<!-- --></style>

Auteurs

Véronique Labonté
candidate au doctorat en Études internationales, Université Laval,

Aurélie Campana
codirectrice du Forum St-Laurent et professeure titulaire de science politique à l’Université Laval

Marie-Joelle Zahar
codirectrice du Forum St-Laurent et professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal.